LES SECRETS D’AYOU 

Si une personne du coin m’accompagnait dans ces moments elle aimait rouler ses yeux brillants et me glisser dans l’oreille « Vaudou, Vaudou » En me révélant le secret elle devenait alors pour moi le lien entre les deux mondes: La terre et le cosmos, et cela lui faisait manifestement plaisir.

La première difficulté quand on est un Yovo en sandales dans le village béninois d’Ayou, est de savoir où l’on met les pieds…

Déjà que la nature paraît là-bas plus hostile, on s’engage parfois par ignorance et mégarde dans des fourrés qui nous barrent la route et qui nous encouragent à les traverser. Ceci sans compter qu’on imagine assez quelques espèces, genre: « insectoïd » voir « serpentoïd » capables de s’épanouir dans ce type de biotope. Heureusement je n’en ai pas croisées de significatives

Je me souviens par contre m’être coupé le pied en glissant sur une feuille de palmier morte et sèche alors que je réalisais un portrait photographique.

Emporté par nécessité de réussir ma mission du moment – c’est à dire: être à la hauteur du sujet, un homme merveilleux que j’avais convaincu de poser pour moi, je ne m’étais pas inquiété du sang qui coulait de ma cheville et qui bien sûr, le soir, s’était infectée, gonflée comme une calebasse et je me suis cru aux portes de l’enfer. J’ai pris conscience qu’en sandales en tout cas, l’endroit avait ses dangers. 

Mes vraies lacunes adaptatives (qui seront le point de départ de mon reportage) m’ont sauté au visage le jour où je me suis avancé mécaniquement vers un arbre plus majestueux que les autres, histoire de voir à quoi pouvait ressembler sa base cachée par des buissons denses mais qu’une porte naturelle laissait penser qu’elle y menait. Soudain des cris m’ont prévenu que je ferais mieux de gratter ma plaie infectée (à la cheville) avec un clou rouillé que de continuer mes pas et de passer la porte naturelle. Les cris me dirent que l’arbre était sacré, qu’à son pied se trouvait un autel qui ne se visitait qu’une fois l’an. Comme ce n’était manifestement pas le jour, je repris le chemin qui me menait au village.

C’est à ce moment que j’ai commencé à douter du monde que je voyais, des chemins de terre qui serpentaient joyeusement dans la forêt, et qui enlaçaient les hameaux au milieu desquels, dans de petites cours proprettes, les outils indispensables à la vie étaient soigneusement dispersés, de sorte qu’on les retrouva quand on en avait besoin. De sorte aussi que cela forme un ensemble tellement harmonieux qu’il n’eut pas fallu trouver ces choses ailleurs sans que cela gâche. Il y avait les mystérieuses maisonnettes-autels, souvent recouvertes de fresques. Des souvenirs de rituels laissés le long des chemins : feuilles de thé séchées, céramiques brisées, paniers enlacés, cordes, cire, traces de feux, cailloux, osselets, ferrailles. Si une personne du coin m’accompagnait dans ces moments, elle aimait rouler ses yeux brillants et me glisser dans l’oreille « Vaudou, Vaudou ». En me révélant le secret, elle devenait alors pour moi le lien entre les deux mondes ; la Terre et le Cosmos, et manifestement cela lui faisait plaisir. Et j’aimais que cela lui fasse plaisir. Mais je décidai ne pas aller plus en avant dans mes introspections. La semaine qui me restait à passer au village ne m’apprendrait rien. J’allais ainsi simplement à la rencontre des gens, mon regard teinté de ces mystères.

À travers ce reportage, je n’ai pas cherché à montrer ou expliquer un culte, mais à suivre mes chemins au gré des rencontres, en traversant peut-être sans le savoir les lignes de force de ce monde invisible, tellurique et parallèle, en faisant avant tout attention, à chaque pas, de ne pas commettre une incorrection qui puisse froisser la force, provoquant le courroux des divinités sur la communauté.

J’ai volontairement fait des portraits humanistes (sur?)chargés de magie, d’intensité et de doute. De mes doutes aussi, car je n’ai pas de réponse à leurs certitudes, pas plus que je n’en ai chez moi, dans ma quête de compréhension.

J’ai représenté des gens, comme suspendus entre ces deux mondes…

Car derrière la réalité divine naturelle et cosmique, il y a l’autre, celle qui saute aux yeux : la vie est dure à Ayou. Les gens paraissent joyeux et fraternels, mais les problèmes sont criants.

Les Dieux puissent-ils l’entendre. D.W.

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